Laurel, avec le tome 2 de Comme convenu, a réalisé le deuxième meilleur score de la catégorie BD sur la plateforme de financement participatif Ulule, récoltant à lui seul plus de 430 000 euros envoyés par quelque 8 000 contributeurs. Dans Casemate 134, l’autrice explique longuement comment réussir à trouver sa place sans passer par une maison d’édition. Pour casemate.fr, le DG d’Ulule détaille comment bien ululer.

Votre taux de réussite pour les appels à financement lancés sur votre site ?
Arnaud Burgot : 70 %. Un très bon score. Nos candidats sont accompagnés par un coach qui les conseille et les aide à optimiser leur projet. Il ne s’agit pas d’accompagnement industriel. On ne les conseille pas dans le choix d’un prestataire, par exemple. Chacun imagine son propre projet et tente de le développer jusqu’au bout. En revanche, nous passons au crible la cohérence de la présentation par rapport à l’objectif, le réalisme de l’objectif financier, la qualité de la présentation, de l’illustration, du plan de contreparties envisagées, et toutes les mécaniques de communication : comment animer sa page de contributeurs, comment les transformer en « ambassadeurs ». Nous faisons vraiment du coaching en matière de financement participatif.
La plupart des échanges se passent-ils en ligne ?
Exactement, dans le fil de discussion. Mais aussi par téléphone. Pas un seul projet ne part en collecte sans qu’il ait été revu par un de nos spécialistes du financement participatif. C’est lui qui donne son feu vert in fine. Je rappelle que les candidats au financement participatif doivent impérativement atteindre l’objectif qu’ils se sont fixé. Si ce n’est pas le cas, ils ne récupèrent pas un euro et les ululeurs sont tous intégralement remboursés.
Comment s’assurer du succès de la démarche ?
Il y a un savoir-faire et des méthodes à respecter. Bien sûr, si l’on souhaite récolter 1000 ou 1500 euros, il est plus simple de réfléchir en nombre de personnes susceptibles de participer, sachant que la moyenne des dons sur Ulule tourne autour de 50 euros par contributeur. 1500 euros, soit 30 personnes. La plupart des auteurs peuvent y arriver en mobilisant leur réseau personnel. Viser des montants plus importants nécessite de bien savoir communiquer sur le projet, de bien savoir transformer ses proches et les contributeurs en général pour qu’ils diffusent l’information autour d’eux. Il faut savoir interagir à bon escient, remercier et récompenser les contributeurs de façon personnalisée. Plein de petites choses que nous expliquons en détail aux porteurs de projets.

“Nous coachons les auteurs. Aucun projet ne débute sans le feu vert d’un de nos spécialistes”

50 euros par personne, c’est énorme !
Oui, relativement généreux. C’est une moyenne que nous observons depuis le lancement, il y a dix ans. Donc une tendance de long terme. Ce montant moyen de 50 euros s’explique par la dynamique de notre site. Nous sommes avant tout une plateforme de financement de projets grand public, avec une mécanique particulière qui est plus que du don, puisque les gens reçoivent une contrepartie en nature (un album de BD, des goodies, des dessins au tirage limité, etc.). Ce n’est pas non plus du simple investissement financier, puisqu’il n’a pas pour but une rentabilité financière. 50 euros, c’est une espèce de montant psychologique moyen. Les gens se disent : « Je suis prêt à soutenir un projet qui me tient à cœur sans chercher à gagner de l’argent. »
Quelle est la typologie des ululeurs ?
C’est très varié. 25 % des contributeurs ont 50 ans et plus. Donc pas l’affaire de petits jeunes comme on pourrait le penser. Quand on regarde les porteurs de projets, le gros des troupes s’inscrit entre 30 et 55 ans.
Beaucoup de contributeurs donnent-ils plusieurs fois ?
500 personnes ont participé à plus de 50 projets. Assez souvent, les nouveaux arrivants sur Ulule viennent soutenir le projet d’une personne qui appartient à leur réseau, avec laquelle ils sont en contact direct. Un certain nombre d’entre eux soutiennent ensuite régulièrement d’autres projets. 46 % des fonds collectés en 2019 viennent de personnes ayant déjà contribué au moins une fois depuis la création d’Ulule en 2010. Parmi nos presque 2 850 000 membres, 22 % ont participé à deux projets ou plus. Cela fait du monde !

“500 personnes ont déjà participé à plus de 50 projets. Don moyen : autour de 50 euros”

Comment vous rémunérez-vous ?
Soit l’objectif du projet est atteint et nous prenons 8 % de la somme collectée (comprend accompagnement, frais transactionnels, TVA). Il n’y a pas de coût caché. Soit ça n’a pas marché et dans ce cas tout le monde est remboursé sans frais. Par ailleurs, nous développons des partenariats pour de grandes entreprises avec lesquelles on crée des programmes pour les amener à soutenir des projets dans le cadre de leur politique de RSE*. Elles soutiennent plutôt des projets à impact sociétal positif. Ce n’est pas encore trop le cas pour la BD. Mais, dans ce secteur aussi, côté fabrication, de plus en plus de personnes réfléchissent à des solutions de production impactant de moins en moins le milieu naturel ; se tournant vers des solutions de proximité.
Fiscalement, comment les fonds provenant d’Ulule sont-ils considérés ?
Soit du don, soit de la vente. Si c’est un don, la contrepartie doit être totalement symbolique, un remerciement nominatif dans une page de la BD, par exemple. Si c’est de la vente, cela doit rentrer dans le CA de la société s’il en existe une. Pour un individu, la somme doit être déclarée dans les revenus imposables.
Pourquoi faut-il atteindre l’objectif fixé pour toucher l’argent ?
Le créateur calcule son budget. C’est son projet, sa responsabilité. S’il ne récolte que 5 000 euros au lieu des 10 000 attendus, nous pensons que lui verser les 5 000 serait une erreur. Cela l’inciterait à démarrer avec un trou dans son budget, et à prendre le risque de ne pas mener son projet à terme. Notre politique du tout ou rien permet de faire rapidement un test révélateur. Si l’objectif n’est pas atteint, cela signifie généralement qu’il faut retravailler le projet, communiquer différemment ou passer à autre chose.

“L’auteur d’un projet qui récolte 5 000 euros sur les 10 000 demandés ne touchera rien”

Comment expliquez-vous le succès de Laurel sur Ulule ?
Par la force de sa communauté. Le point clé, c’est son audience en ligne. Il faut, autant que faire se peut, collecter les adresses e-mail des gens qui lisent la newsletter mise en place par l’auteur ou qui commentent ses posts sur les réseaux sociaux. C’est cela qui change tout ! Des lecteurs ont bénéficié des mois durant, depuis 2003, des planches de BD que Laurel publiait. Ils connaissaient donc son travail, et désiraient en posséder une version physique. Quand on aime la BD, lire en ligne est sympa, mais rien ne vaut un bon livre ! D’autres ont juste voulu la remercier pour tout son travail.
Comment les auteurs connus voient-ils votre plateforme ?
Ceux-ci, sur leurs sites ou sur les réseaux sociaux, ne gèrent guère leur communication avec le public. Ce sont de nouvelles façons de fonctionner. La migration vers le web et les financements participatifs se fait progressivement. Passer sur une plateforme comme la nôtre va changer complètement leur métier et impliquer des choix : où vais-je me faire imprimer ? Comment réaliser les tests d’impression ? Réceptionner les palettes de colis, gérer l’expédition ? Et je ne parle pas du service après-vente avec ces 10 % de colis qui reviennent systématiquement ou sont perdus dans la nature. Je conçois qu’un auteur qui n’a pas l’habitude de tous ces processus prenne peur.
Et les éditeurs ?
Beaucoup de petits éditeurs se mettent à passer aussi par Ulule. Les très gros regardent encore en s’interrogeant.
Les tirages doivent tout de même les chatouiller…
Il y a une telle surproduction dans la BD ! Les grosses locomotives, celles avec lesquelles les éditeurs gagnent leur vie, ne basculent pas sur Ulule. Mais, plus d’auteurs viendront vers nous, plus les pointures regarderont. Cela dit, les auteurs vieillissent. Les jeunes qui arrivent ont l’habitude de venir spontanément vers le numérique et le crowdfunding. Reviendront-ils un jour vers le système classique éditeur-distributeur-magasin ? Il faudra observer cette évolution sur le long terme.

Propos recueillis par Antoine BÉHOUST
Supplément offert de Casemate n°134 – mars 2020.

* RSE : responsabilité sociétale des entreprises.

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