Changement d’herbage réjouit les veaux, dit un vieux dicton. Et changer d’époque réjouit les scénaristes de séries au long cours. Voilà pourquoi Trolls de Troy #22, le second de l’année, montre une Waha enfant et ses petits copains poursuivis par une jolie sorcière arracheuse de dents. En attendant, pour sa 25e aventure, de projeter son détective privé Léo Loden dans la Marseille gallo-romaine. Casemate consacre dix pages au nouveau Trolls. Voici la fin de l’interview de son scénariste.
Les Trolls repassent sur Canal J et Lanfeust Quest sur Gulli. Les dessins animés apportent-ils de nouveaux lecteurs aux albums ?
Christophe Arleston : Pas dans le cas de ces deux séries. D’abord parce que ce n’est pas du tout le même graphisme, à l’inverse de Tintin, Titeuf, Les P’tits Diables, Lou ! ou Cédric. Dans ces cas-là, le dessin peut être animé sans modifications majeures, et quand c’est bien fait, il peut y avoir un impact entre les dessins animés et les albums. L’animation des Trolls de Troy, pour des raisons budgétaires, a été en 2D numérique, avec un parti pris très simple. Nous le savions et l’avions accepté depuis le début, mais nous nous disions qu’il y aurait quand même moyen de faire un truc sympa : Les Simpson ou South Park ne brillent pas par leurs dessins, et ça fait quand même de bonnes séries. Mais à l’arrivée, déception. Il y avait dans les premières intentions un côté Hewlett (Tank Girl, Gorillaz…) un peu cheap, mais sympa, mais ce qui a tout tué graphiquement a été le traitement de personnages secondaires humains inventés par le réalisateur, qui ressemblaient à des figurants mal gaulés qu’on peut trouver dans n’importe quelle animé… On a essayé de s’imposer là-dessus, mais on a perdu le combat. Même dans le dessin animé, le réalisateur a toujours plus de poids que les auteurs. Hélas.
Et dans le cas de Lanfeust ?
On est parti de la version manga, car le dessin de Didier Tarquin n’est pas animable. Cette série, produite par Gaumont, a bénéficié de gros moyens, d’un beau dessin, d’une belle animation, d’une excellente mise en scène réalisée par le très talentueux Antoine Charreyron. Et même d’une musique de Klaus Badelt (Pirates des Caraïbes) ! On avait tout pour être content, à un détail près : un scénario pauvre au contenu inexistant. Dommage, car visuellement j’en étais assez content.
Aviez-vous un droit de regard sur ce scénario ?
On me l’avait promis, je me suis fait embobiner. Et lorsque la production a commencé, on m’en a écarté immédiatement. Et là, j’ai compris que M6 s’intéressait à Lanfeust pour en faire un programme 4/8 ans ! Plus question d’être transgressif en quoi que ce soit, on tombait dans le bisounours chiant. C’est stupide, il en résulte un ennuyeux robinet d’eau tiède. À l’inverse, sur Trolls, j’ai pu apporter ma touche, valider les synopsis, retaper les dialogues, je me suis investi dans les 77 scénarios ! Hélas, nous sommes tombés sur un réalisateur à qui il manquait le sens du tempo, le sens du gag et du rythme. Des tas de trucs très drôles sur le papier tombaient à plat parce qu’ils étaient mal mis en scène. La grosse déception. D’où, la même année, deux séries inabouties pour des raisons différentes. L’idéal aurait été d’avoir le bon script et le réalisateur adéquat en même temps. Ça a fini de me vacciner sur l’audiovisuel. On y trouve des tas de types qui vous expliquent qu’ils connaissent leur métier, qui ne veulent pas vous écouter, et qui à l’arrivée plantent le projet. La responsabilité en incombe principalement aux chaînes qui commanditent les projets : ils ne veulent pas de bons programmes, ils veulent juste remplir leurs cases sans faire de vagues.
La télé ne veut pas de bonnes adaptations, mais remplir ses cases sans faire de vagues
Y a-t-il vraiment au studio Gottferdom une salle des horreurs ?
Je ne sais pas où Philippe Vandel, de France Info, a pêché ce détail dont je n’ai parlé dans aucune interview, mais il est bien renseigné ! Bien sûr, il ne s’agit pas d’une salle, mais il y a dans un couloir une étagère à laquelle nous avons donné le nom de « Musée des prix moches ». Tous les auteurs passés par le studio ont ramené un jour d’un petit festival un trophée, hum, esthétiquement contestable : des objets improbables fabriqués par des artistes locaux, le plus souvent. Vous savez, l’œuvre d’un céramiste ou d’un sculpteur sur bois, généralement le cousin du beau-frère de l’organisateur, qui s’est dit : « Tiens, sculpter un crayon et le peindre à la bombe acrylique serait une idée formidable ! » Alors on a groupé ces chefs-d’œuvre, l’effet est saisissant.
Des noms ?
Tout ce que je peux vous dire, c’est que l’Alph-Art avec la vitre d’Hergé, la statue de Boucq remise à Solliès ou les petits éléphants d’après Franquin de Chambéry n’en font pas partie ; eux sont en bonne place dans mon bureau !
Votre actualité en 2017 ?
Une année plus calme que 2016. Deux choses à noter : la conclusion de Chimère(s) et un petit plaisir que je me suis accordé : Léo Loden, le temps d’un album, devient Leo Lodanum et exerce son métier de détective privé dans la Massalia gallo-romaine. On y retrouvera tous les ingrédients de cette série marseillaise ainsi que tous ses personnages. Marlène y campera une centurionne de l’armée romaine – eh oui, j’ai décidé que centurionne, ça existait ! Chaque personnage est adapté à l’époque. Je m’amuse beaucoup sans m’encombrer à expliquer ce glissement dans le temps. Dès le tome prochain, Serge Carrère dessinera de nouveau toute l’équipe dans le Marseille d’aujourd’hui.
Oui, il y a au studio Gottferdom une étagère que nous appelons “Musée des prix moches”
Va-t-on moins parler d’Arleston en 2017 ?
En écrivant entre quatre et six bouquins par an, finalement, on est toujours là. Par moments, j’aimerais être moins visible. Mais, comme je l’explique dans le Casemate de ce mois, je pense en premier lieu aux dessinateurs qui doivent produire et auprès de qui je me suis engagé ; ensuite j’ai besoin de retrouver mes personnages régulièrement. Un scénariste professionnel est de fait contraint à cette omniprésence en librairie, même si, parfois, on a la peur de lasser le lecteur. Mais moi, j’ai toujours envie de raconter plein d’histoires ! Parfois, je caresse l’idée de prendre plein de pseudos pour être plus discret !
Et votre Spirou ?
Bah, point mort pour Mystère à Venise ! Depuis que Didier Conrad œuvre sur Astérix, j’ai abandonné l’espoir de le voir dessiner cette histoire qui lui était destinée. Le synopsis est écrit. Si je dispose d’un peu de temps en 2017, j’en profiterai pour relancer les dessinateurs auxquels j’envisage de le proposer. Il y a une réponse, je ne dirai pas de qui, que j’attends depuis plus d’un an ! Ça me tient vraiment à cœur !
Il y a deux ans, vous évoquiez l’éventualité d’une grève pour débloquer la situation sur les cotisations retraite des auteurs. Avec quel résultat ?
Nous n’avons pas obtenu tout ce qu’on aurait voulu, mais l’action du SNAC-BD, syndicat des auteurs de BD, a été utile. Il était prévu une application sans discussion des nouveaux taux de cotisation dès 2016. Nous avons obtenu plusieurs années de délai et une mise en place progressive des augmentations. C’est déjà ça.
Mais pas d’abaissement de ces taux ?
Non, à l’arrivée ils semblent, hélas, inéluctables. Nous sommes, pour le moment, plus ou moins résignés sur ce problème. Aujourd’hui, les craintes sont plutôt autour de la pérennité des droits d’auteur à l’européenne. Des lobbys, à Bruxelles, se sentent assez puissants pour s’y attaquer. Il nous faut être vigilants. De même sur les projets d’accords avec Américains et Canadiens : même s’ils sont plutôt dans le placard actuellement, pas question de se laisser endormir. La probable prochaine arrivée d’un président qui clame son ultralibéralisme et son admiration pour Margaret Thatcher n’a rien de rassurant pour le statut des auteurs. Il faut rester vigilant !
Propos recueillis par Jean-Pierre FUÉRI & Frédéric VIDAL
Supplément gratuit de Casemate 98 – décembre 2016.
Trolls de Troy #22,
À l’école des trolls,
Jean-Louis Mourier,
Christophe Arleston,
Soleil,
44 pages,
14,50 €,
30 novembre.