Ange gardien des pilotes en détresse autour de l’île maudite d’Iwo Jima, Angela vit des heures difficiles tandis que, par paquets de 300, les bombardiers américains s’élancent vers le Japon, lourds de leurs bombes incendiaires. Romain Hugault et Yann racontent cet épisode horrifiant et passionnant de la guerre du Pacifique dans Angel Wings (dossier de dix pages dans Casemate 119). Il leur restait quelques points à préciser.
Parler des hémorroïdes dont souffraient les pilotes (Casemate 119), n’est-ce pas raconter ces heures épouvantables par le petit bout de la lorgnette ?
Romain Hugault : Pourquoi ? Dans un précédent Casemate (le 72), nous vous racontions comment, dans la jungle birmane, des GI privés de PQ utilisaient des feuilles de la jungle et chopaient des parasites qui les faisaient mourir dans d’atroces souffrances. Toutes ces contraintes physiques, que nous essayons de raconter avec humour, nous changent des récits de guerre traditionnels. Eh oui, les héros aussi peuvent avoir mal au cul.
Loin de Charlier ?
Et en étant plus réalistes. Nous montrons les vraies contraintes de la guerre. Même chose pour les décors. J’imaginais au départ Iwo Jima comme une île du Pacifique paradisiaque. Elle est un bout de rocher et de sables noirs. J’ai d’ailleurs eu peur de dessiner un album hyper sombre. Heureusement, beaucoup de scènes se déroulent sur fond de ciel ou de mer.
Et les avions portent souvent des couleurs criardes.
Dès le départ, je trouvais les Mustang magnifiques avec leurs queues jaunes.
Pourquoi cette couleur ?
D’autres escadrilles les avaient noires, vertes… Un moyen de se reconnaître dans un ciel rempli d’avions. Ce fut le même problème dans l’Allemagne, sous les bombardements. À la fin de la guerre, les Allemands disaient : « Si un avion qui n’est pas camouflé, c’est un Américain ; s’il est camouflé, c’est un Anglais, s’il n’y a pas d’avion, c’est un Allemand. » Certains chasseurs étaient surnommés les perroquets tellement ils arboraient des peintures criardes. Un moyen de se faire reconnaître de leurs batteries au sol, souvent servies par de jeunes recrues qui tiraient un peu sur tout ce qui volait.
“pour moi, les BD à la buck danny, avec le gentIl et en face le méchant, c’est fini”
Ici, les Américains n’ont pas forcément le beau rôle, vous les montrez plutôt rugueux.
Je le répète, pour moi, les BD à la Buck Danny, avec le gentil et, en face, le méchant terroriste, c’est fini. Les Japonais avaient la conviction de défendre leur sol. Oui, ils ont commencé en attaquant Pearl Harbor, mais finalement, de la poule ou de l’œuf qui a vraiment commencé ? Le Japon a eu les yeux plus gros que le ventre, mais les Occidentaux exerçaient un sévère embargo à leur égard. Leur but n’a jamais été d’envahir les Américains, mais de montrer leurs muscles, façon de dire : « Ne nous emmerdez pas et laissez-nous faire ce que nous voulons dans notre zone d’influence. » Pour mener cette guerre, le Japon disposait d’un potentiel d’approvisionnement en pétrole de six mois. Elle a duré trois ans… Pour eux, c’était foutu.
Les pilotes disposaient-ils d’aide à la navigation ?
On en était aux prémices. Les Anglais, des précurseurs, avaient établi une ligne de radars sur leurs côtes qui permit d’anticiper les vagues d’assaut de la Luftwaffe. Les pilotes américaines disposaient d’un système rudimentaire de guidage radar. En gros, le terrain qu’il voulait rallier émettait deux signaux complémentaires en morse. Par exemple le A (.–) et le N (–.). Quand le pilote recevait le A, il savait qu’il était trop à gauche, quand il recevait le N, trop à droite. Quand il recevait un signal continu, il était sur la bonne trajectoire.
On voit un simulateur de vol, sorte de cylindre.
Monté dans un réservoir supplémentaire réformé, il était équipé d’un de ces radars et permettait à des pilotes de s’entraîner au sol. Beaucoup de mécanos qui s’ennuyaient entre deux missions équipaient ces réservoirs, de châssis, de roues, et se tiraient la bourre avec ces petites bagnoles qu’ils appelaient les « belly tank ». Plus tard, ces engins feront la course sur les lacs salés. J’ai dessiné, dans un album Pin-up Wings, une nana faisant un peu de mécanique sur un engin de ce genre.
“LES wasp enduraient tous les inconvénients de la vie militaire, sans aucun de ses avantages”
Que représente le petit cylindre entre les ailes du macaron des femmes pilotes du WASP ?
Le bouclier d’Athéna. Un jour, exaspérées, les WASP (dossier dans Casemate 72) ont balancé leurs quatre vérités à l’état-major de l’époque : « Nous endurons tous les inconvénients de la vie militaire sans aucun de ses avantages. Nous effectuons le même boulot que les mecs, nous en prenons plein la gueule et n’avons même pas droit aux ailes officielles de brevet de pilote de l’armée américaine. On les veut ! » Elles ont fini par obtenir satisfaction, mais à une condition : que leur macaron pilote soit plus petit que celui des hommes. Véridique !
Pour la petite histoire, derrière le titre Angel Wings, sur les couvertures de la série, on voit les fameuses ailes des WASP. C’est la photo d’ailes que j’ai achetées à une vraie WASP de l’époque. Bijoutière avant la guerre, elle donne toujours dans les bijoux, notamment ces fameuses ailes de WASP, identiques à celles qu’elle fabriquait à l’époque.
Vous montrez un sous-marin américain très sophistiqué, loin des célèbres et plutôt rustiques U-Boote allemands.
Yann : Ces engins ont énormément évolué durant cette guerre. Au lendemain du premier conflit mondial, durant lequel les loups de mer allemands firent un carton, le sous-marin a pris une importance démesurée. Importance qui diminua lors de la guerre froide, car leur principal intérêt fut alors de porter le feu atomique dans leurs flancs. Du coup, leur force ne consistait plus dans leur armement, leur capacité d’intervention, mais dans leur discrétion. L’un des grands secrets allemands, percé assez récemment, fut le côté furtif de leurs derniers U-Boote, recouverts d’un enduit qui les rendait quasiment indétectables. On en a repêché un récemment, encore en bon état. Je l’ai mis en scène dans Dent d’ours, dessiné par Alain Henriet. Il s’approche des côtes américaines sans être détecté.
Prochain épisode ?
Hugault : Nous atterrirons sur Tinian, la fameuse base des B-29 nucléaires, destination le Japon. Yann y travaille, me dit dénicher des infos géniales. Comme d’habitude, il s’éclate. Et moi, pendant ce temps, j’attends…
Yann : Ne l’écoutez pas. Romain mène la danse. Il s’amuse en faisant un boulot formidable. Iwo Jima était son idée. Idée qui au départ ne m’emballait pas vraiment. À l’arrivée, je suis ravi. Les contraintes ont du bon. Dans le tome 6, fin du cycle, nous allons aussi lever le mystère de la mort de la sœur d’Angela. Ensuite…
“écrire une histoire autour de marilyn visitant les escadrons de pilotes peut être génial”
Hugault : Nous avons commencé à en parler. Je suis invité en Corée en octobre 2019 pour l’inauguration d’une expo sur mon travail dans un salon à Séoul, un peu l’équivalent du Bourget. Une grand-messe de l’aviation internationale. Avec Yann, nous avons commencé à évoquer la guerre de Corée, et évidemment la tournée historique qu’y fait Marilyn Monroe en 1954. Marilyn, la pin-up ultime. Pas ma préférée, mais un mythe génial. Écrire une histoire autour de Marilyn visitant les escadrons de pilotes peut être génial.
L’avez-vous déjà dessinée ?
Une fois, la fameuse scène où, en blouson bleu magnifique, elle est juchée sur un F-84, chasseur à réaction de l’époque, à côté d’un pilote en combinaison de vol, le casque à la main. Une scène magnifique, avec soleil couchant et plein de journalistes autour.
Je m’étais basé sur une photo la montrant en contre-jour, l’avion juste en silhouette. L’an dernier, sur Facebook, je reçois le message d’un Américain me disant que j’ai dessiné l’avion de son père pilote sur F-84 en Corée. L’escadrille était en vol et seul restait sur le parking le F-84 de son père, en panne. Il joint une photo de son père avec celles de Marilyn au mur. Après la séance photo, lui et l’actrice sont allés au mess manger un T-bone. Son père se souvient que Marilyn était super sympa, et la viande hyper bonne.
Angel Wings a-t-il un avenir aux États-Unis ?
C’est en cours, mais là-bas, pas de nichons à l’air libre. Je refais le tour des albums et dissimule quelques poitrines. J’adapte. Chinois et Russes sont sur la même longueur d’onde. En revanche, aucun problème au Japon. Tant qu’on ne nous demande pas de refaire nos histoires… Me bloquer par fierté personnelle serait trop bête. Je ne me considère pas comme un artiste maudit qui doit défendre la liberté d’expression.
Propos recueillis par Jean-Pierre FUÉRI et Frédéric VIDAL
Supplément gratuit de Casemate n°119 – novembre 2018.
Spit chromé et bière légère
Il paraît que vous vous intéressez de près à un magnifique Spitfire tout chromé.
Romain Hugault : Je suis consultant aéronautique d’IWC, qui produit des montres de pilotes. Des montres de luxe. IWC possède un magnifique Spitfire, le chasseur mythique de la Seconde Guerre mondiale, l’avion qui a gagné la bataille d’Angleterre et infligé sa première défaite au Reich allemand. Les canons ont été remplacés par des réservoirs supplémentaires et cet appareil, qui fut appelé « l’avion de la liberté », va sillonner le monde et faire connaître sa légende. Nous devons réaliser de nombreuses opérations caritatives avec des associations d’enfants. Un superbe projet.
On parle aussi d’une bière à vos couleurs.
Un pote pilote de ligne me disait qu’à chaque étape, Tokyo, New York, etc., les pilotes aiment boire une bière. Ça désaltère bien après le vol sans être trop alcoolisé. Il ajoutait qu’il n’existait pas une bonne bière estampillée pilote. Avec un autre copain, nous sommes mis en rapport avec un brasseur près d’Angoulême. Un matin, à neuf heures, je testais ses différentes bières. Ont suivi des tests anonymes, tous favorables. On l’a testée lors de meetings aériens. Elle arrive en décembre dans des bouteilles superclasses, estampillées, évidemment, avions et pin-up. On ne sait pas si l’aventure va durer six mois ou plus, mais au moins on s’amuse !
Angel Wings #5,
Black Sands,
Romain Hugault, Yann,
Paquet,
46 pages,
14 €,
21 novembre.