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2005. À la veille du 33e festival international de la bande dessinée d’Angoulême, BoDoï, l’ancêtre de Casemate, secoue le cocotier en osant proposer Hermann comme Grand Prix rêvé. L’homme, tout en délicatesse, on ne l’appelle pas le sanglier des Ardennes pour des nèfles, nous affirme alors se ficher d’une telle consécration comme de son premier strip (un autre jour, il concédera cependant aimer l’idée de la connaître pour s’offrir le bonheur simple de la refuser). Et puis les années passèrent et, si la production d’Hermann continua selon son rythme immuable, l’homme, semble-t-il sur les conseils avisés de son fils et scénariste, vient d’accepter d’être enfin nommé roi d’Angoulême. Et cela à la suite d’une série de rebondissements croquignolesques. Quinze jours auparavant, on lui aurait donné autant de chance qu’à Chirac face à Balladur en 1995 ou Hollande face à DSK début 2011.
Il nous a semblé intéressant de retranscrire, stricto sensu, l’interview qu’Hermann accorda à Sophie Flamand pour BoDoï en janvier 2005. D’autant qu’elle était entrelardée des réponses de quelques Grands Prix (Cestac, Boucq, Druillet…) à une question toute simple : « Hermann président, ça vous donnerait des boutons ? » Les réponses, comme le bon vin, gagnent souvent en saveur avec l’âge. À cette bonne surprise de 2016, espérons qu’en succédera une autre en 2017. Peut-être cette année-là, le festival osera-t-il célébrer un de ceux sans qui la BD franco-belge ne serait pas ce qu’elle est. Allez, osons l’incongruité suprême : un scénariste.
En 2017, Christin président ?


Dossier paru en janvier 2005, dans BoDoï 82

 

Oui à Hermann Grand Prix • François Boucq (Grand Prix 1998)

1999-Boucq“Il y a des gens qui sont hostiles à Hermann, c’est vrai, sinon il aurait eu le Grand Prix depuis longtemps. Le problème Hermann ne revient pas tous les ans, mais il revient régulièrement. Personnellement, je fais partie de ceux qui le défendent pendant les délibérations. Hermann est tout de même quelqu’un qui a fait école, avec des dessinateurs qui se réclament de lui ! Alors ses déclarations, franchement, moi je m’en fiche. Si on arrivait à dégager une majorité pour qu’il ait le prix, je serais ravi de le lui donner ! Après, qu’il le prenne ou pas c’est un autre problème… L’initiative de BoDoï pourrait également jouer sur les débats. Car si certains membres du jury sentent qu’un prétendant au prix est porté par une mobilisation extérieure, ils sont assez susceptibles pour s’obliger à voter pour un autre, rien que pour embêter le monde. Je préfère le dire parce que je n’aimerais pas voir Hermann sortir du prochain festival avec un nouveau sentiment d’humiliation.”


 

Il y a des auteurs plus importants • Florence Cestac (Grand Prix 2000)

2001-Cestac“Un problème Hermann ? Non, vraiment je ne crois pas. Il y a toujours beaucoup de noms qui circulent lors de nos délibérations et les Grands Prix présents votent selon leurs préférences, voilà tout. Il n’y a pas plus simple comme mode d’élection. Hermann a ses chances, comme n’importe qui d’autre, chaque Grand Prix étant libre de proposer un nom et de voter pour qui il a envie. Mais en ce qui me concerne, je vous dirai qu’il y a pour moi des auteurs plus importants que lui. Ce n’est là bien sûr que mon avis personnel.”


 

Un peu trop à droite… • Philippe Druillet (Grand Prix 1988)

1989-Druillet“Avant tout, sachez que je m’en tape un peu l’oignon… Mais dites-vous aussi qu’au sein du jury d’Angoulême, on a passé notre temps à rater des gens bien. Après tout, le droit à l’erreur est tout à fait humain. Donc, halte à la parano ! Pendant longtemps, on a même suspecté une cabale des Français contre les Belges. Moi qui suis un amoureux de Tillieux, de Macherot et tous ces gens-là, je peux vous affirmer le contraire. Il n’y a pas de cabale à Angoulême, mais les inimitiés comptent sans aucun doute, c’est d’ailleurs pourquoi l’Académie commence à me gonfler sérieusement. En ce qui concerne précisément Hermann, j’avoue que je ne suis pas fou de son dessin. On peut dire exactement la même chose de mon travail, moi qui ne suis jamais qu’un dessinateur lyrique qu’on a couronné parce qu’il avait inventé une ou deux conneries et qu’on l’aimait bien… Toutefois, dans le cas d’Hermann, je me demande si, à une certaine époque, il n’aurait pas eu quelques sorties qui l’auraient classé très à droite, ce qui l’aurait par la suite un peu desservi…”


 

Je respecte I’œuvre, mais le bonhomme… • Fred (Grand Prix 1980)

FRED“Hermann ? Je respecte son œuvre, même si elle ne me laisse pas particulièrement admiratif. La dernière fois que je l’ai vu, c’était il y a une dizaine d’années au festival de Chambéry. On s’était un peu perdu de vue, j’étais content de le retrouver et je m’avance vers lui, la main tendue pour le saluer. Et là, il me dit : « Tiens, mais t’es toujours vivant, toi ? On t’a sorti du formol ? » Voilà, c’est tout ce que j’ai à dire. On ne s’est jamais revu depuis.”


 

Aussitôt présenté, aussitôt enterré • Paul Gillon (Grand Prix 1982)

1983-Gillon“Je ne connais pas personnellement Hermann que je n’ai jamais croisé qu’une ou deux fois il y a longtemps. C’est un type qui a beaucoup de talents, au pluriel, et un style bien à lui. Et au sein du jury, où je tiens à préciser que je ne siège plus depuis dix ans, je me rappelle que son nom surgissait effectivement très régulièrement. Mais il était enterré immédiatement comme ça, sans débats ni explications : au deuxième tour, exit ! J’observe aussi que quand son nom est évoqué au cours de conversations, il y a une sorte de retrait, comme si on voulait éviter le sujet. On peut donc parler de refus. Mais, je le répète, c’était de mon temps et pour ce genre de problème je ne suis plus dans le coup.”


 

Il a ses détracteurs fidèles ! • Daniel Goossens (Grand Prix 1997)

1998-Goossens“L’élection d’un Grand Prix est un vaste processus aléatoire. Un processus aléatoire qui doit se faire le reflet d’un consensus le plus majoritaire possible tout en respectant les goûts parfois divergents de tous les membres de l’Académie. C’est dire la difficulté de l’exercice. Le nom de Hermann revient chaque année dans les discussions. Mais il n’est pas le seul. Baru, Dupuy et Berberian ou encore Jean-C. Denis sont eux aussi toujours évoqués. Je ne vais toutefois pas prétendre qu’il n’y a pas de problème particulier autour de Hermann. Il a ses détracteurs fidèles. On ne va pas dire qui, mais il en a, comme beaucoup d’autres auteurs d’ailleurs, moi compris ! En 1997, certaines personnes ne voulaient absolument pas que j’aie le Grand Prix. Et ne parlons même pas du cas Crumb, qui a déchaîné toutes les passions ! Hermann, franchement, n’est donc pas un cas unique dans l’histoire de l’attribution du Grand Prix de la ville d’Angoulême.”


 

Et Tabary ? Et Delporte ? • Marcel Gotlib (Grand Prix 1991)

1992-Gotlib“Ça fait très longtemps que je ne suis pas allé à Angoulême. Je ne suis donc que de très loin les délibérations. L’élection d’un Grand Prix n’est pas chose facile. La preuve, si l’on reprend la liste de tous les Grands Prix, on en compte beaucoup qui n’avaient pas vraiment lieu d’être récompensés, et c’est un peu pour cela que j’ai arrêté de siéger à l’Académie. Je pense toutefois que cela s’est rééquilibré ces dernières années, mais je le répète : je ne me tiens pas assez informé des débats pour donner un avis sur Hermann. Tout ce que je peux dire c’est que s’il mériterait probablement d’avoir eu le Grand Prix depuis longtemps, il y en a cinquante autres dans ce cas-là. Comme Tabary ou Delporte par exemple. De là à parler de blocages pendant les délibérations… J’ai assuré la présidence du festival en 1992 et je n’ai pas subi la moindre pression lors du choix du Grand Prix. Et on n’avait absolument pas évoqué le cas Hermann.”


 

Il a trop dit qu’il le refuserait • Frank Margerin (Grand Prix 1992)

1993-Margerin“Il y a effectivement un problème Hermann. C’est un auteur qui ne fait pas l’unanimité, et ce pour trois raisons. La première c’est son travail. Après tout, on n’est pas obligé d’aimer. Ensuite, il y a ses déclarations et le message contenu dans certains albums, en particulier dans Sarajevo-Tango. Et puis, le fait est qu’il y a beaucoup d’autres personnes qui ont du talent et attendent à la porte. Chaque année, je me dis que la prochaine fois je ne siégerai plus à l’Académie parce que choisir un Grand Prix est devenu un exercice très difficile. Au vu du nombre incroyable de prétendants, il suffit parfois d’un petit rien pour faire basculer les décisions. Par exemple, si on a le choix entre deux auteurs dont on apprécie le travail, on va peut-être plus facilement pencher vers le plus sympathique… Et Hermann, malgré tout son talent, n’est pas toujours quelqu’un de très facile. Je crois que là se trouve finalement le vrai problème. Il semble qu’Hermann ait un jour déclaré qu’il se ferait une joie de refuser le Grand Prix s’il l’avait. Ce genre d’attitude joue un peu contre lui, comme cela a joué contre Loisel pendant un certain temps. Lui avait déclaré qu’au cas où on lui attribuait le Grand Prix, il aurait peut-être trop de travail pour venir le chercher. Il a donc été « puni » pendant quelques années. Mais on en rigolait. Avec Hermann, on rigole beaucoup moins. Parce que s’il refusait le prix ça ferait franchement désordre. Mais le ferait-il vraiment ?”


 

Le moment favorable semble passé • Jean-Claude Mézières (Grand Prix 1984)

1985-Mezieres“Premièrement, je pense qu’il s’agit de rumeurs comme il en circule dans n’importe quel festival, que ce soit Angoulême… ou Cannes. Deuxièmement, tout auteur qui aurait beaucoup produit pour la bande dessinée serait-il destiné à recevoir automatiquement le Grand Prix ? Et le fait d’avoir créé autant de bouquins sur une aussi longue carrière fait-il nécessairement de vous un candidat sur lequel tout le jury va tomber d’accord ? Il faut la majorité. Le choix du jury est motivé par des critères précis : professionnalisme, originalité et surtout impact sur l’évolution du genre BD. Je ne veux pas porter ici de jugement sur l’œuvre d’Hermann, mais je sais qu’il y a eu dans le temps des moments favorables pour son élection, et que ces moments sont peut-être passés. On peut juger cela injuste, mais c’est comme ça. Et Hermann est loin d’être le seul dans ce cas-là.”