2012. Mathieu Sapin accompagne Gérard Depardieu sur les traces d’Alexandre Dumas dans le Caucase (Casemate 70). C’est le début d’une longue complicité. 2017. Suite des souvenirs de l’auteur sage du Château (Casemate 81) auprès du dernier des monstres sacrés du cinéma français (Casemate 101).

Vous montrez Depardieu parfois ours outragé, parfois d’une délicatesse exquise envers vous.
Mathieu Sapin : J’ai eu de la chance, et me suis rendu compte après coup qu’il a été très généreux avec moi.
Copains ?
Je ne dirais pas ça. Mais il a des gestes touchants. Le lendemain matin de la projection de mon court-métrage (Vengeance et Terre battue, avec Charlotte Le Bon, Gustave Kervern…), il m’a appelé pour me demander si ça s’était bien passé. Dès l’Azerbaïdjan, nos rapports ont été simples et naturels. Je suis assez direct avec lui, m’amusant à le mettre en boîte. Je pense qu’il apprécie. Il y a tellement de gens qui ne se comportent pas de manière naturelle avec lui ! Certains parce que la star les impressionne, d’autres parce qu’ils désirent lui demander quelque chose, ce qui les rend empruntés, pas très naturels.
Fasciné par l’extraordinaire bric-à-brac de son salon parisien, truffé d’œuvres d’art plastique ?
On se croit dans un musée ! Comme dans beaucoup d’autres domaines, loin de tout savoir universitaire, Depardieu s’est forgé au fil des années une culture d’autodidacte. Il a des goûts très pointus aussi bien en Art contemporain qu’en Art classique. Il peut discourir sur des peintres italiens que je ne connais pas, moi qui suis censé avoir suivi des études classiques. Il est toujours surprenant, instinctif. Dans un restaurant de Bavière, je l’ai vu s’enticher d’un cochon en plâtre. Il l’a obtenu et lui a fait une place, chez lui, avec ses Rodin.
Ce salon, où s’est déroulée votre interview en 2014, avec toutes ces statues en taille réelle, a un côté saisissant de tombeau égyptien. Et encore, je n’ai pas dessiné une sorte de sculpture en forme de lit funéraire. Quand on rentre dans cette immense pièce, on est saisi par son côté très théâtral. Je tenais à montrer l’endroit sur une double page. Le nombre de fois où il m’a accueilli en slip, au milieu de toutes ses œuvres !
L’acteur se met en scène ?
Pas du tout. C’est sans calcul. Il dit d’ailleurs : « Je suis une caricature. » Et ajoute n’en avoir rien à foutre, que ces œuvres ne sont que des biens matériels, qu’il pourrait abandonner ce cocon qu’il s’est aménagé pour se barrer dans un autre pays. J’ai tendance à le croire, en me rappelant, comme je le raconte dans Casemate 101, qu’il part en voyage avec presque rien, trois chemises, deux slips. J’ai essayé de montrer un homme beaucoup plus complexe qu’une caricature des Guignols, plein de contradictions.

Son salon a un côté tombeau égyptien avec une sculpture en forme de lit funéraire

Je lui trouve un côté génial, et je pèse mes mots, avec sa manière de ressortir des choses très inattendues. Sans doute grâce à son sens de l’observation. Je nous revois dans une galerie marchande moscovite où il était entré pour acheter des bijoux. Il s’est mis à marchander en accumulant les références sur les pièces en question. Je consacre deux ou trois bulles à la séquence, mais j’aurais voulu en faire trois pages. Mettez-moi dans la même situation, le vendeur pourrait me refourguer n’importe quoi. Pas à Depardieu.
Si vous parlez pétrole, il va vous ressortir comment exploiter le pétrole offshore. Un discours marrant, mais aussi très technique puisqu’il a fait ce travail chez Fidel Castro. Il est question de la comtesse de Ségur ? Il vous parle des personnages en les appelant par leur nom. Sur la chasse aussi. Rapport à la mort, autodestruction, bouffe, voyages, les femmes, les liens sont nombreux entre Hemingway et Depardieu. Le premier s’est flingué. J’espère que ce ne sera pas le cas du second.
Reçoit-il les journalistes facilement ?
Quand vous m’avez demandé si vous pouviez l’interviewer, je n’y croyais pas trop. Il m’a répondu que vous n’aviez qu’à passer le jour même. À côté de cela, il peut refuser une émission télé avec Léa Salamé parce qu’il s’en fout. Quelques télés se disent intéressées par la sortie de mon bouquin. Il m’a dit ne pas vouloir en entendre parler.
Un souvenir de rigolade ?
Un jour, je le vois gueuler au téléphone, expliquant qu’il n’a pas de temps à perdre, qu’il doit bosser. En fait, son boulot consistait à regarder des épisodes de Spartacus.
Pourquoi vous montrer si réticent à poser avec les cadettes de l’armée russe ?
Parce que je crains toujours l’instrumentalisation. On ne sait jamais où, dans quel journal peuvent se retrouver les photos. Ça me rappelle un souvenir, lors d’un déplacement de François Hollande, bien après la parution du Château, mon livre sur la vie à l’Élysée. Je me retrouve dans une soirée donnée par un ancien chef d’État africain. Un de ses hommes de confiance vient m’annoncer que son patron aimerait beaucoup que je lui consacre une bande dessinée. J’ai refusé, bien sûr en y mettant les gants. Terrain glissant. Si vous êtes trop gentil vous vous retrouvez à réaliser un outil de propagande, si vous racontez ce que vous voyez, vous risquez de finir aux crocodiles.

Il n’y a qu’en BD, son avatar de lui-même, que Depardieu se voit de manière agréable

Comment l’avez-vous présenté à votre belle-famille, au Portugal ?
Ce n’est pas moi, la situation m’a échappé, ma femme a ourdi ce complot sans me consulter ! Franco-Portugaise, elle assurait alors la traduction de la série À pleines dents ! Gérard et moi étions alors au Portugal. Un soir où nous devions dîner sans l’équipe, elle s’occupe de réserver des places au restaurant et invite sa sœur sans me prévenir. Lorsque je l’apprends, je dis à celle-ci, qui adore Depardieu et a vu tous ses films, qu’il déteste qu’on l’emmerde avec ça, qu’il n’en a rien à foutre, etc. Évidemment elle me dit « oui, oui », mais à peine présentée lui saute dessus, disant qu’elle est fan absolue, lui sortant ses répliques par cœur. Le Gérard a commencé à s’énerver, c’était très drôle. Quelle chance d’avoir comme sujet un personnage aussi riche, dans les choses positives comme dans des choses négatives.
A-t-il relu votre album avant parution ?
Oui, j’y tenais. Un seul passage l’a énervé : quand je laisse entendre que la mort le fait flipper. Il m’a lancé qu’il ne voyait pas où j’avais entendu cela, qu’il n’avait pas du tout peur de mourir. En fait, il m’avait semblé – on a souvent abordé le sujet – qu’à Moscou, son discours était moins ferme. Du coup, j’ai mis les deux interprétations. C’est toute la difficulté de ce genre d’exercice. Il y a mille manières d’interpréter certains propos. Il faut assurer une certaine subjectivité.
Il m’a aussi raconté énormément de choses sur des personnes vivantes. Évidemment, je ne voulais pas créer de problèmes, même s’il dit s’en foutre. Je lui ai demandé de relire surtout pour valider les épisodes mettant en scène d’autres personnages.
Avez-vous tout dit ?
Bien sûr que non, j’aurais pu réaliser le double des pages. Il m’a fallu m’arrêter avant que le lecteur ne souffre d’indigestion. Car il y a risque d’indigestion avec Depardieu. Après trois jours passés avec lui, je suis vanné, je n’en peux plus.
Comment Depardieu juge-t-il votre Depardieu de papier ?
Il considère que la bande présente un avatar de lui-même. Il n’y a qu’en bande dessinée que Depardieu se voit de manière agréable.

Propos recueillis par Frédéric VIDAL
Supplément gratuit de Casemate 101 – mars 2017.

Gérard,
Cinq années dans les pattes de Depardieu,
Mathieu Sapin,
160 pages
Dargaud,
21,90 €,
17 mars.