Corentin revit ! Quarante-deux ans après la parution du Royaume des eaux noires, dernier album signé Paul Cuvelier, Christophe Simon (quatre Alix, et la trilogie Sparte) adapte une nouvelle de l’époque signée Jean Van Hamme. Suite du dossier consacré à cet évènement dans Casemate 93.

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Corentin et vous, une grande histoire d’amour ?
SimonChristophe Simon : Mes grands-parents habitaient à cinquante mètres de chez nous, nous vous voyions tous les jours. Le dessin n’était pas le métier de mon grand-père, mais il possédait un très joli coup de crayon. Fasciné, je le regardais me dessiner Blanche-Neige, les sept nains, tous les animaux de l’histoire. Je prenais un crayon et essayais de l’imiter.
Était-il amateur de bandes dessinées ?
Oui, de Tintin et autres classiques. Alors que j’avais 7 ou 8 ans, il est venu à la maison m’apporter le deuxième tome des aventures de Corentin. « Tu vas aimer. » Ce fut un véritable coup de foudre. J’ai commencé à redessiner les cases et n’ai jamais arrêté. J’ai vite obtenu tous les Corentin et les connais encore par cœur. J’ai gardé tous ces albums de ma jeunesse comme des reliques. Et les relie chaque année. J’ai depuis acheté toutes leurs rééditions. Paul Cuvelier est le seul auteur que je collectionne. Une vraie passion. J’ai même la chance d’avoir pu acquérir quelques originaux.
Ne collectionniez-vous pas les Alix ?
Non, c’est une autre histoire. J’ai découvert Alix après Corentin, et suis entré dans l’environnement de Jacques Martin en 1993.
Qui possédait les droits de Corentin ?
La famille. J’ai proposé cette reprise d’abord au Lombard. Le feu vert de cet éditeur m’a insufflé un courage inhabituel et je suis allé rencontrer un des frères de Paul Cuvelier. Avec sous le bras un dossier comportant une planche test, plus une reprise de la couverture du Signe du cobra. Couverture qui est en fait un montage d’images de l’intérieur, Paul Cuvelier n’ayant semble-t-il pas réalisé une couverture originale. Ce qui fut toujours une grande frustration pour moi, cet album étant mon Corentin préféré. Amédée Cuvelier m’a donné son accord et a plaidé ma cause auprès de ses frères aînés. C’est une grande famille, donc cela a pris du temps. Tout le monde est tombé d’accord. J’avais le feu vert !

Reprendre Corentin, ma série culte, c’est comme déballer son train électrique à Noël

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Restait à trouver une histoire…
J’avais tout de suite aimé Les Trois Perles de Sa-Skyia, la nouvelle écrite par Jean Van Hamme en 1975, et avais toujours été frustré de ne pas la voir dessinée par Cuvelier. J’imaginais ses planches dans ma tête. Contacté, le scénariste des deux derniers Corentin m’a dit oui tout de suite : « Je te laisse faire l’adaptation, te demande simplement de me la soumettre. Si j’estime que quelque chose n’est pas bon, professionnellement, je te corrigerai. Ma seule consigne est : Fais-toi plaisir ! »
Et vous avez écrit un scénario ?
Plutôt que de décrire chaque scène, j’ai préféré story-boarder tout l’album. Cela m’a permis de voir très précisément les documents qu’il me faudrait ramener à l’issue de mes cinq semaines de repérages en Inde. Finalement, j’en suis revenu avec plus de 7000 photos (Casemate 93). Dessiner Les Trois Perles de Sa-Skya m’a demandé treize mois de travail.
Comment attaque-t-on le dessin de la série culte de son enfance ?
C’est complexe. Vous ressentez énormément de peur, d’angoisse et en même temps le plaisir du gamin qui déballe son train électrique à Noël. À la fois jubilatoire et très angoissant. Le défi n’était évidemment pas d’égaler Paul Cuvelier, mais d’essayer d’en être digne et surtout de ne pas abîmer son personnage.
André Juillard a repris Blake et Mortimer avec La Marque jaune de Jacobs ouvert sur sa table à dessin. Avez-vous fait pareil ?
Non, les albums de Cuvelier, très étalés dans le temps, ne permettent pas de parler d’unité de style. J’aime le dessin plein de maturité et de dynamisme du Signe du cobra, mais aussi l’encrage du premier tome, Les Extraordinaires Aventures de Corentin. Donc j’ai plutôt cherché à en faire une synthèse.

Je me sens très libre, à l’inverse de ce qui se passait du temps de Jacques Martin

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Vos décors sont très riches. Le résultat d’années passées sur Alix ?
Quand je travaillais chez Martin, le décor devait être précis dans le moindre détail, on était presque dans un dessin technique. Pour Corentin, j’ai essayé de garder la spontanéité, le côté vivant qu’il peut y avoir dans le croquis en laissant des petites zones d’imprécision dans certaines frises, par exemple. Le but était que les décors n’écrasent pas les personnages. J’ai un peu utilisé la plume, mais surtout le pinceau qui donne de la vie. Paul Cuvelier mélangeait les deux, sauf dans les derniers, Le Prince des sables et Le Royaume des eaux noires réalisés à la plume. J’ai quelques-uns de ses croquis préparatoires. Il encrait souvent au pinceau, ce qui donne au dessin un dynamisme beaucoup plus important.
L’éditeur est-il intervenu dans votre travail ?
Je me suis senti très libre, à l’inverse de ce qu’il se passait du temps de Martin qui suivait tout de très près. Et il vous rappelait à l’ordre si vous vous éloigniez de la ligne. C’est pour cela que je suis parti. Après son décès lui a succédé un comité de lecture Casterman. Dessiner Sparte a été en quelque sorte un débourrage permettant de se débarrasser de tous les tics de dessin acquis auparavant. Sur Corentin, je me suis senti très libre, c’est à ce jour mon travail le plus personnel.
Mais encore une reprise. Quel est vraiment votre style propre ?
La question du style ne m’a jamais préoccupé. Dans mon nouveau projet, une histoire plus contemporaine, plus dure, j’essaie de pousser plus loin le réalisme. Je travaille de plus en plus la lumière. Le pinceau permet de jouer avec les contrastes. Hier, en terminant un paysage et l’encrage de certains personnages, je trouvais que ce travail me faisait penser à Corentin…
Comme Jean Van Hamme sur Blake et Mortimer, vous utilisez des textes récitatifs à l’ancienne.
J’ai gardé le ton un peu daté de Jean dans sa nouvelle, il correspond très bien à Corentin. Cet album est un album égoïste. Je voulais réaliser le Corentin que j’aurais envie de lire, sans chercher à le moderniser. J’ai simplement suivi les conseils de Jean : éviter les redondances, utiliser les récitatifs pour montrer ce que le personnage pense, ce qu’il vient de faire, ce qu’il va faire. J’ai essayé de préserver au maximum le ton et les textes très bien tapés de Jean. Certains récitatifs sont mot pour mot tirés de sa nouvelle.

Propos recueillis par Jean-Pierre FUÉRI
Supplément gratuit de Casemate 93 – juin 2016.

CorentinCorentin
Les Trois Perles de Sa-Skya,
Christophe Simon,
d’après Jean Van Hamme,
Le Lombard,
56 pages,
14,99 €,
17 juin.