D’abord il y eut Le Duel, nouvelle de Joseph Conrad publiée en 1908. Elle raconte la haine et les nombreux duels qui opposèrent deux officiers hussards de l’armée napoléonienne pendant vingt ans. Suivent, en 1977, Les Duellistes, premier film de Ridley Scott inspiré par la nouvelle. Voici aujourd’hui Duel, adaptation BD très enrichie de la nouvelle par Renaud Farace. Casemate 102 y consacre six pages. Voici la fin de l’interview de cet auteur complet.

On n’échappe pas à un chapitre campagne de Russie. Une période très à la mode en bande dessinée !
Renaud Farace : Conrad n’y consacre qu’un petit paragraphe. J’ai trouvé intéressant de montrer les deux hussards, pourtant ennemis mortels, se retrouvant frères d’armes. Ce qui met bien en valeur leur dualité, et leur complémentarité, l’un tirant bien mieux que l’autre. Un engouement pour la bataille de Russie ? Je ne sais pas, lisant fort peu de BD historiques. Mais se plonger dans son histoire c’est évoluer dans un monde passionnant, incroyable. J’ai découvert que la bataille de la Bérézina, contrairement à ce que l’on croit, est considérée comme une victoire française. Napoléon a gagné cette guerre.
Avec des pertes humaines épouvantables !
Des centaines de milliers de morts, c’est vrai, et la France lui en a énormément voulu. Les pertes russes furent encore plus dramatiques. Napoléon a gagné militairement et perdu politiquement.
Hubert, noble resté royaliste dans son cœur, sert pourtant loyalement Napoléon. Une exception ?
Non. Je voulais montrer que l’immense majorité des militaires restent des militaires loyaux, quel que soit le régime. Quand à la Restauration on a viré les officiers napoléoniens pour les remplacer par des nobles inexpérimentés, ce fut une catastrophe qui ne pouvait mener qu’à des tragédies. Ce fut le cas, par exemple, dans le naufrage de La Méduse, dont Glénat prépare une adaptation. À l’occasion de Duel, j’ai découvert ce que fut la Terreur blanche, causée par des aristocrates enfin de retour, plein d’idées de vengeance.

Fouché hâte la formation de tribunaux et en prend la tête parce qu’il veut sauver la sienne


Cette vengeance de gens morts de trouille comme le dit Fouché ?
Voilà. Une vengeance aveugle. Le nouveau ministre de la Justice reconnaît avoir hâté la formation de tribunaux et en avoir pris la tête dans un unique but : sauver la sienne ! En travaillant la scène entre Fouché et Faraud, je pensais au film Le Souper, qui montre le face-à-face entre Talleyrand (Claude Rich) et Fouché (Claude Brasseur). Il s’agit de savoir s’il faut mettre Louis XVIII sur le trône. Un vrai bijou où l’on découvre comment chacun essaie de faire pression sur l’autre. Quel bonheur de voir s’affronter deux hommes politiques qui ont du corps. Qui s’engagent physiquement. Car, dans la rue, le peuple qui attend peut très bien décider de les mettre en pièces. Et ce ne sont pas les trop peu nombreux policiers présents qui pourront les en empêcher. Fouché et Talleyrand en ont conscience. Ils sont prêts à mourir, à la fin de leur souper. Je me suis inspiré de ce face-à-face.
Qu’est le Bataillon sacré ?
Au milieu de cette cohue totale que fut la retraite, chacun tente de sauver sa vie. Les Français ont pillé les trésors de Moscou, mais bientôt les pommes de terre valent plus cher que les tableaux de maîtres ou les plus beaux bijoux. À cette époque, les lois de la guerre obligent théoriquement de nourrir ses prisonniers. L’armée russe, pas plus que les Français, n’en a les moyens. On a parlé d’anthropophagie. Dans ce chaos, un bataillon uniquement composé d’officiers reste organisé, garde son élan. Ils se veulent les représentants d’un reste de civilisation. Ces hommes se sont autoproclamés le Bataillon sacré.

J’envie ces auteurs venus de l’animation qui possèdent une vraie pratique du mouvement


Pourquoi ne jamais montrer le visage de Napoléon ?
Pour moi, c’est un esprit, et je voulais qu’il le reste. Le dessiner, c’était se confronter à une réalité. Au vrai Napoléon. Je le voulais plus comme une inspiration. Il ne participe pas directement aux batailles, mais fait campagne avec ses hommes, passe entre ses hommes, il sait comment leur donner la foi en lui, notamment à Austerlitz où ses troupes parcourent des kilomètres en un temps record, ne dorment pas durant 72 heures et gagnent la bataille. Napoléon apparaît en public au bon moment et leur redonne du courage. Pour ses soldats, il incarne une sorte de muse du combat. L’inspirateur total. Le laisser dans l’ombre, c’est garantir qu’il reste cette figure planante.
Mimez-vous les duels devant une glace ?
Toujours. Comme la plupart des auteurs d’ailleurs. J’en connais même qui se photographient avec les appareils sur pied. Ils effectuent le mouvement souhaité tandis que l’appareil les prend en position rafale, c’est le moyen le plus efficace. J’envie les auteurs passés par l’animation qui possèdent une vraie pratique du mouvement.

Propos recueillis par Jean-Pierre FUÉRI
Supplément gratuit de Casemate 102 – avril 2017.

Duel,
Renaud Farace,
Casterman,
190 pages,
22 €,
26 avril.

 


À s’en taper le pétadou

Duel est truffé d’expressions d’époque, le plus souvent gasconnes. Lexique des principales par Renaud Farace.
• Passer la nuit à chopiner (picoler).
• Je m’en tape le pétadou (cul).
• Le plus robuste des pignards (queutards).
• Ça me fait une belle pécole (à la base, c’est une maladie, l’équivalent de la vérole. Sa sonorité me plaisant, j’en ai un peu changé le sens, en faisant l’équivalent d’une belle jambe).
• L’honneur vaut queue de chie (que dalle, du plus pur gascon).
• Aucune chance de renarder ces chiens (duper).
• Espèce de pingol (vaurien).