Reporter à Charlie Hebdo, l’auteure complète de Moderne Olympia et Mes hommes de lettres illustre La Vie de Palais écrit par l’avocat Richard Malka. Suite de ses confidences à lire dans Casemate 76.
Le procès des caricatures de Mahomet vous a-t-il donné l’envie du dessin d’audience ?
Catherine Meurisse : Non, l’enfermement qu’il nécessite n’est pas vraiment à mon goût. Je préfère bouger, vadrouiller. Mais, si le côté statique du procès ne m’a guère séduite, j’y ai savouré l’éloquence des avocats. Pendant tout le procès, l’équipe de Charlie Hebdo au complet était là. Nous avons croqué tout ce qu’il se passait et publié l’ensemble dans deux numéros du journal. Ce fut passionnant.
Un souvenir fort ?
Le témoignage d’Élisabeth Badinter, assez court, mais très clair. Sa pensée coule, nette, précise, excitante. Les personnalités défilaient, le débat d’idées fut formidable, effervescent et se poursuivait, ensuite, tard à la rédaction. On quittait le tribunal, Philippe Val, directeur de Charlie Hebdo et Richard Malka, notre avocat, suivis par les caméras. Un souvenir de 2006 éprouvant, mais fort. Moins cependant que celui de l’incendie du journal quatre ans après…
Le public vous était-il acquis ?
Dans la salle bourrée, une partie des gens nous soutenaient, l’autre était composée de détracteurs de Charlie. Autant de personnes, également divisées, attendaient dehors ! Un procès c’est un combat de boxe, une joute verbale, une grande comédie juridique.
Connaissiez-vous ce monde avant d’attaquer les aventures de Jessica ?
J’étais complètement innocente en ce domaine. Les images que j’avais en tête, c’est mon côté romantique, se limitaient aux dessins d’avocats de Daumier. Une vision très lyrique, très caricaturale. Les grands gestes, l’éloquence poussée à son summum. Le métier d’avocat reste aujourd’hui pour moi un métier mystérieux fait par des êtres mystérieux.
Un procès, c’est un combat de boxe, une joute verbale, une grande comédie juridique
Richard Malka, mystérieux ?
Oui, je le dis en riant, mais cet homme bosse comme un dingue et trouve le temps de scénariser des bandes dessinées. Il vit, travaille vite et bien. Je me demande parfois comment il peut tenir ce rythme. J’imagine qu’il a des assistants, mais même avec eux, ce métier est tellement prenant, envahissant, il vous bouffe tant de temps qu’arriver à faire autre chose reste pour moi mystérieux.
Pensez que ce type est avocat dans des procès prestigieux ! Hyper médiatique, très à l’aise dans les relations mondaines, accessible, pédagogue, il reste toujours prêt à monter en première ligne pour défendre Charlie Hebdo !
Votre travail sur La Vie de Palais s’étale sur plusieurs années et on observe votre dessin changer.
Je me lasse parfois de certaines choses. À mon entrée à Charlie, on m’a dit : « Ici, c’est ton laboratoire, fais ce que tu veux. » Donc j’ai travaillé très vite, parfois trop vite. Pas grave, la semaine suivante je faisais autre chose. En BD, par contre, je peux me poser, réfléchir, y consacrer tranquillement un an. Et ensuite passer à autre chose.
Qu’est-ce qui vous fascine tant dans le travail de Gus Bofa (Casemate 76) ?
Énormément de dessinateurs, de Blain à Blutch, en passant par Rabaté et de Crécy, ont observé le travail de Bofa de près. Je retiens de son dessin l’ovale d’un visage, une rondeur sensuelle. Rien dans La Vie de Palais ne rappelle Bofa, mais ses dessins se baladent dans un coin de ma tête. J’adore piocher dans l’œuvre de très vieux auteurs qu’un fossé temporel sépare de nous. Daumier, Gustave Doré, tous ancêtres hyper talentueux, hyper sympathiques. J’aime aussi de plus récents artistes, les Sempé, Bosc, Chaval, dessinateurs qui s’exprimaient sur de pleines pages qu’on ne trouve plus vraiment dans la presse d’aujourd’hui.
Vous mettez-vous parfois en colère ?
Bien sûr, pour tout ce qui concerne l’écologie. Là, mon sang ne fait qu’un tour, je pourrais faire des caisses de dessins sur le barrage de Sivens, les centrales nucléaires, etc.
Le dessin de presse est métier de coureurs. La BD, elle, est métier de marcheurs à pied
Féministe ?
Un sujet compliqué. Il existe énormément de mouvements féministes, dont beaucoup sont critiquables, d’autres trop mous. Pas facile d’y voir clair. Mais il faudrait être aveugle pour ne pas voir les inégalités hommes femmes. Et complètement idiot pour les accepter, se dire que le combat est terminé parce que les femmes ont obtenu le droit à l’avortement et à la pilule. Le sujet continue à me mettre en colère.
Dessinateur de presse, un métier difficile ? Sfar avouait, dans Casemate 63, s’y être cassé les dents !
Exact, il s’est planté à Charlie. C’est un vrai métier et nous sommes peu à pratiquer à la fois BD et dessin de presse. Il faut coller à l’actualité, avoir le sens de l’efficacité. Cavanna disait que le dessin de presse est un coup de poing dans la gueule, qu’il faut donc avoir des rudiments de boxe. Avec nos bras tout maigres et un crayon au bout du bras, nous devons cogner et faire rire. Je me dis souvent que le dessin de presse est un métier de coureurs. Et la bande dessinée un métier de marcheurs à pied. Beaucoup plus lent. Les deux me plaisent, mais actuellement, j’ai davantage envie de me consacrer à la BD. Une forme de résistance, une manière de prôner la lenteur qui me séduit.
Ralentir, n’est-ce pas un peu mourir ?
Justement, c’est cela qui m’intéresse. Continuer à s’ouvrir aux autres, au monde, tout en freinant. L’urgence amène quoi ? Une certaine vivacité d’esprit ? Mais on peut peut-être réfléchir plus calmement. Je suis sûre qu’il y a là une voie à trouver.
Votre prochain album ?
Je vais m’éloigner un peu de la politique, retourner dans la campagne des Deux-Sèvres où j’ai grandi, être face aux paysages que j’observais gamine. Pas dans un but passéiste, juste pour retrouver des sensations. Sculpter mon rapport à cette campagne, sans colère, observer ce qu’elle était hier et ce qu’elle est aujourd’hui.
Tout était-il rose dans ce vert ?
Non, bien sûr. J’ai une vision entre deux chaises, entre agriculteurs et classe moyenne. Mes parents sont enfants d’agriculteurs, mais ne le sont pas devenus. Ce ne sera ni un livre de souvenirs ni une fiction complète. J’en cherche encore la forme.
Optimiste ou pessimiste ?
Je crains le pessimisme. Dès qu’on faiblit, on se laisse couler. Il faut résister. À Charlie, on voit passer et on traite tous les sujets. Comme vous l’avez sans doute remarqué, le principe de l’hebdo est de rigoler de tout. Heureusement, car, si on enlève l’humour, c’est à se pendre. Disons que je suis réaliste, et d’un pessimisme gai. Que traiter les sujets avec gaieté me sauve.
Propos recueillis par Jean-Pierre FUÉRI
Supplément gratuit de Casemate 76 – décembre 2014.
La Vie de Palais,
Il était une fois les avocats…,
Catherine Meurisse,
Richard Malka,
Marabulles,
14,90 €,
dispo.
Les illustrations sont © Marabulles.