Qui fut vraiment Cass Elliot, la rondouillarde chanteuse de The Mamas & the Papas qui fit de California Dreamin’ un succès planétaire ? Suite de l’interview de Pénélope Bagieu, publiée dans Casemate 84. L’auteure de Joséphine a enquêté (à tout petits pas) sur cette voix d’or au goût d’acide…

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Ellen, alias Cass Elliot, fut-elle un peu mytho, comme tous les ados ?
Pénélope Bagieu :
Malgré toutes les postures qu’on peut adopter à l’adolescence, on cherche en réalité à s’intégrer dans un groupe. Quand l’on a du mal à rentrer dans un moule, comme ce devait être le cas pour Ellen, tout est bon pour essayer de ressembler aux autres, quitte à avoir recours au mensonge.
Vous-même n’avez-vous pas tenté d’apitoyer vos profs en disant que vos parents divorçaient ?
Mais c’était vrai, mes parents divorçaient ! Je n’aurais pu inventer une chose pareille pour favoriser mon passage au lycée. Par contre, peut-être aurais-je inventé une grippe pour rater un contrôle.
Avez-vous rencontré des gens ayant connu Ellen ?
Non, je ne cherchais pas à réaliser un documentaire nécessitant une enquête. J’ai même veillé à ne pas chercher trop de docs, trop d’images. La véracité a tendance à paralyser, empêche d’égratigner le personnage. Je préfère la fiction, d’où ce travail d’appropriation.
À part que vous, êtes jolie !
Tout ramener au physique est un problème. On le voit dans tous les domaines. En politique, on va vanner une ministre sur sa robe. Ou une présentatrice télé sur ses vingt kilos de trop. Les femmes peuvent être brillantes, assurer dans tous les métiers du monde, si elles sont mal coiffées, le premier commentaire portera là-dessus. Aujourd’hui, on n’arrive pas à détacher le travail d’une femme de son image. La situation évolue, mais vraiment très doucement.

Une prof de chant, qui n’a jamais osé faire de choix risqués, pousse cette gamine à les faire

Et pour une auteure ?
On me demande souvent en interview ce que ça fait d’être une femme dans ce milieu. On ne poserait pas cette question à un mec.
Les Daft Punk, casqués intégraux, finalement, pourraient être des femmes, et pourquoi pas, des femmes moches ?
Un beau contrepied en tout cas. L’absence d’image devient une image, avec un côté un peu mythologique. Mais c’est difficile d’avoir des exigences de communication lorsqu’on est artiste. Dire qu’on ne souhaite pas qu’on parle de soi. Les Daft Punk ont dû faire un sacré bras de fer avec leurs producteurs pour arriver à limiter à ce point leur communication. Mais c’est vrai, sous les casques des Daft, il y aurait pu avoir deux femmes.
La chance d’Ellen prend le visage d’un prof de chant.
Elle croise cette femme qui lui dit qu’elle a un vrai talent. Et, pour le lui prouver, lui prête sa voiture pour qu’elle aille auditionner à New York. On sent que cette prof n’a jamais osé prendre de risques dans sa vie, et qu’à l’heure des bilans, elle regrette de n’avoir jamais quitté Baltimore, d’être devenue une simple enseignante. Par procuration, elle qui n’a pas fait de choix risqués, pousse cette gamine à les faire.
Ellen part, mais pourquoi prendre le nom de Cass Elliot ?
Une façon de marquer le début de sa carrière. Elle se donne cinq ans pour réussir. J’aime l’idée qu’elle en profite pour se donner un nouveau nom. Comme ouvrir une page blanche, devenir quelqu’un d’autre.
Ellen s’est choisie un pseudo, pourquoi pas vous ?
J’aurais pu. Il doit être agréable de ne pas utiliser son nom tout le temps. Mais j’ai commencé par l’illustration, où l’on travaille avec son nom, celui qu’on veut que les clients mettent sur les chèques. Si j’avais pris un pseudo, peut-être certains l’écorcheraient-ils moins. Beaucoup le prononcent « bagui-eu », ou l’écrivent avec un x à la fin.

Pourquoi faire fumer du hash à Cass du matin au soir ?
C’est l’image que j’ai de cette époque où cela semblait bien plus accepté qu’aujourd’hui. Je ne raconte pas la fin de sa vie, mais elle en est morte. Ado, elle fume, très vite elle passe aux acides… La drogue a accompagné toute son existence. Même enceinte, elle prenait des acides. Je voulais aussi montrer le lien avec les médicaments qu’on lui donne très tôt. Son cœur a fini par lâcher. Je viens de voir le documentaire sur Kurt Cobain, produit par sa fille. On apprend qu’il prenait dans son enfance des médicaments contre l’hyperactivité.
Pourquoi son triangle amoureux vous fascine-t-il ?
Ça ne me fascine pas, c’est simplement la plus vieille histoire du monde ! Ellen est amoureuse d’un mec qui est amoureux d’une autre et ne la voit que comme sa meilleure copine. On vit tous au moins une fois dans notre vie l’un de ces trois rôles. Tous les groupes avec deux mecs et deux filles ont des histoires pas possibles.
Ellen se voile la face.
Comme tout le monde. Quand on est amoureux, on est bête. On voit ce qu’on a envie de voir. Pour elle, il n’est pas possible qu’il ne puisse pas l’aimer.
Leur séjour aux îles Vierges, c’est l’éden avant la tempête ?
Dans la chanson Creeque Alley, le groupe raconte très simplement tout leur passage aux îles Vierges, et le feu dans leur bungalow qui les a poussés à partir. À la fin de la chanson, ils disent que California Dreamin’ est devenu une réalité. J’ignore combien de temps ça a duré, mais ça avait l’air un peu fou fou. Cela m’a fait rêver. Quelle insouciance ! Ils ont vécu une vie d’ados, sans une thune, puis tout a démarré très fort pour eux juste après ça. Ne raconter que cette partie aurait eu un côté comédie, genre Les Bronzés prennent de l’acide !

Le triangle amoureux que vit Cass est tout simplement la plus vieille histoire du monde !

Pourquoi Cass n’a-t-elle pas d’amie fille ?
Ça m’intrigue beaucoup, et pas en bien. Une fille qui se vante de n’avoir aucune amie, qu’elle verrait forcément comme une rivale, a un problème. Ellen est le profil type de cette femme-là. Elle ne veut que des amis, veille à ce qu’ils soient un petit peu amoureux d’elle, et ne se montre jamais comme elle est vraiment, jouant toujours un peu de séduction.
Michelle est exactement le contraire de l’image que Cass s’en fait. Cette fille, belle, n’a pas de problème de supériorité, mais des doutes, comme tout le monde. Elle sait ne pas être une grande chanteuse. Elle sera bienveillante envers Ellen, consciente de l’énorme talent de cette dernière. Elle est sincèrement triste de voir Ellen malheureuse. Je ne voulais pas en faire la méchante blonde super belle. Michelle est une fille très gentille.
Et son mari ?
John Phillips est un enfoiré ! Carriériste, il a en tête une image toute faite de son groupe. Il refuse violemment Ellen, même si elle essaye de rentrer par la porte, la cheminée, la fenêtre. C’est mon sale type. Dans le milieu où Ellen évolue, les gens, pas vraiment méchants, sont surtout très cyniques, et ont peu d’égards pour les sentiments des autres. Lou Adler est un producteur super sympa qui reconnaît que le talent du groupe, c’est Ellen. C’est lui qui l’a intégrée. Il a notamment produit le film The Rocky Horror Picture Show.
Tout le monde a conscience du talent d’Ellen. Adler, bon producteur, comprend qu’il peut faire beaucoup d’argent avec cette équipe. Dans la chanson Midnight Voyage, on entend John Phillips reprendre Cass, lui reprochant d’être à contretemps avec les autres. Alors qu’elle chante parfaitement. On sent qu’il devait l’emmerder sans arrêt !
Quand leurs albums marcheront moins bien, Lou Adler changera leur intitulé en Mama Cass with The Mamas & The Papas. Ce qui rendra fou Phillips.
Gardez-vous un bon souvenir de vos années aux Arts déco ?
Je me souviens d’un prof de nu dont je n’aimais ni la façon de dessiner ni la façon dont il essayait de me faire dessiner. Je m’opposais à lui sans arrêt, trouvant fou qu’on laisse quelqu’un enseigner de cette manière. Je suis restée longtemps en résistance avant de comprendre qu’il faisait exactement ce qu’il fallait faire ! Il dessinait d’une manière qui ne semblait pas construite, comme Bonnard, s’intéressant aux grandes lignes, plutôt qu’à la musculature ou autre détail dont il se foutait. Sans doute nous croyait-il beaucoup plus matures que nous ne l’étions, et du coup essayait de nous faire gagner du temps en accélérant un peu. Je me souviens… Il nous faisait aussi dessiner avec un fil à plomb. Ça me mettait hors de moi. On s’en fout du fil à plomb ! On s’en fout de la verticale ! Et pourtant, là aussi, il avait raison.

Un prof voulait qu’on dessine avec un fil à plomb. Mais nous, on se foutait de la verticale !

Le succès a-t-il changé votre vie ?
Le bonheur est de vivre de ce qu’on aime. De ne pas avoir besoin de projets qu’on n’aime pas. Je constate que ce n’est pas le cas pour beaucoup de gens. Pour le reste, le dessin reste une vie de placard. Je connais des gens aux carrières fulgurantes dans des domaines où cela rend fou. À la télé par exemple. Leurs amis d’avant ne sont plus leurs amis. Ils se retrouvent très seuls… Mes copains sont les mêmes depuis vingt ans. Je ne parle jamais travail avec eux, d’ailleurs ils se foutent complètement de ce que je fais. Ils savent vaguement de quoi parlent mes livres, mais je ne suis pas sûre qu’ils les aient lus.
Vous, en revanche, lisez beaucoup. Déjà quatre-vingts chroniques filmées sur Internet pour Madmoizelle.com !
Je suis trop contente quand je reçois des mails de lectrices m’expliquant que jamais elles n’auraient ouvert tel ou tel livre si je ne leur en avais pas donné envie. De fil en aiguille, elles en achètent d’autres et ont finalement plein de BD. Une pluie d’amour !
Le compliment qui vous a le plus marquée ?
Pas un compliment, mais le souvenir d’un couple qui vient me voir tous les ans à Angoulême. Une année, lui est venu me faire dédicacer une BD pour elle. L’année suivante, elle est venue me faire dédicacer un livre pour lui. La troisième année, j’ai fait le lien. Ils ont un écart d’âge certain, l’un parle français, l’autre anglais. Je sais qu’ils seront là l’année prochaine. Sinon, je serais très triste. Seraient-ils morts ? Ne m’aimeraient-ils plus ?

Propos recueillis par Frédéric VIDAL
Supplément gratuit de Casemate 84 – août-septembre 2015.

bagCalifornia Dreamin’,
Pénélope Bagieu,
Gallimard,
24 €,
17 septembre.