Si le papa de Troy nous régale avec un nouveau Trolls dans lequel le père Noël n’est pas à la fête (Casemate 76), il publie également la suite de Chimère(s) 1887. Avec quelques regrets. Et évoque son MacGyver voyageur du temps…

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Un simili père Noël, un simili Don Quichotte, vous piochez dans les personnages mythiques ?
arlestonChristophe Arleston : Je n’ai pas vraiment fait attention à cela. Le monde de Troy est composé d’un tiers de fantasy traditionnelle, d’un tiers de contes de Grimm et de Perrault, d’un tiers d’Antiquité et de mythologie. Le père Noël est bien plus récent. Il a pris la suite de saint Nicolas et fut accaparé par la marque Coca-Cola au début des années cinquante.
Lanfeust a 20 ans. Avez-vous fêté cet anniversaire ?
À Quai des bulles. Avec une expo, des trolls géants et des comédiens déguisés qui se répandaient dans les rues. Dont une jolie Cixi. Un forgeron forgeait sur un vrai feu qui brûle de vraies épées qui coupent, des bretteurs déguisés en personnages de Lanfeust s’affrontaient. Ce fut bien plus fun qu’une simple expo avec des planches originales au mur.
Vous souvenez-vous de vos 20 ans à vous ?
Tiens… non, mais de mes 18, oui. Je vivais à Aix-en-Provence depuis peu. Des copains d’alors le sont toujours aujourd’hui ; comme Nolane, Cartier… Une bonne grosse bande. Pour mes dix-huit bougies, ce fut épique. Chut.
Après vingt ans d’exploitation de la planète Troy, la machine à idées est-elle toujours aussi performante ?
En tout cas, toujours aussi lente. Les idées peuvent demeurer longtemps dans un coin de ma tête en attendant qu’elles se décantent. Vingt ans parfois ! Un jour, crac, ça se déclenche et l’écriture se déroule très rapidement. Le gros du travail des scénaristes ne se passe pas devant leur clavier, mais avant qu’ils s’y installent. Les idées c’est un peu comme les photographies d’avant le numérique. Il faut les plonger successivement dans plusieurs bains, le révélateur, le fixateur…

Avec les frères Van Gogh, dates, faits, tout s’imbriquait parfaitement. Une merveille

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Éclosent-elles n’importe où ?
Absolument, souvent lorsque je suis au volant. Une idée d’histoire éclate. Je la range là-haut, dans un tiroir pendant six, huit mois ou davantage. Le jour où je me mettrai à écrire, c’est qu’elle sera vraiment mûre.
Travaillez-vous avec des coscénaristes pour enrichir, accélérer le processus ?
Non, uniquement pour le plaisir de travailler en duo, pas parce que je me sentirais incapable d’y arriver seul.
Van Gogh tient un rôle important dans Chimère(s) 1887 dont le quatrième tome (1) vient de sortir. Parce que votre dessinateur s’appelle Vincent ?
Non. Chimère(s) est aussi une quête de parents à travers le personnage principal. Pour la mère, c’est allé assez vite. J’avais envie que le père, lui, soit un personnage historique connu, ce qui donne encore plus de piquant à l’histoire. Mais il fallait que les dates collent avec celle de la construction de la tour Eiffel. Je suis tombé sur Van Gogh que j’ai toujours beaucoup aimé. Les dates, les faits, tout s’imbriquait parfaitement. Une merveille. Le jour où l’ultime pièce boucle votre puzzle, vous poussez un grand « Yes » ! J’avais en prime le frère Van Gogh, Théo, très pratique, car habitant réellement Paris à l’époque qui m’intéressait. Le go-between parfait. On commence à comprendre qui est le vrai père de Chimère. Encore deux albums et le cycle sera bouclé.
Le second est-il signé ?
Non. Aujourd’hui, je suis malheureux. J’ai en main un exemplaire de la nouveauté avec cinquante-sept post-its collés dedans. Des corrections non faites, l’album étant parti à l’imprimerie sans qu’on ait pu relire et corriger le PDF. Des bulles essentielles à la compréhension de l’histoire ont été changées, d’autres ont sauté alors qu’on trouve ailleurs deux fois le même texte. Une tournure de phrase a été transformée, ce qui en modifie complètement le sens. Et je ne parle pas des bourdes d’orthographe. Il a fallu attendre mon 150e album pour que cela m’arrive. Du coup, depuis une semaine, j’ai un peu d’amertume. Et même plus. J’aime mon travail, j’aime les choses finies, propres, nickel. Ce qui vient de se passer ne me donne pas trop envie d’engager un second cycle.

Le jour où l’ultime pièce boucle le puzzle, vous poussez un “Yes !” de bonheur…

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Que vous avez déjà en tête ?
J’ai imaginé une suite possible se déroulant des années plus tard. On y retrouverait Chimère à la Belle Époque, 1900, avec ses courtisanes célèbres, appelées « les grandes horizontales ». Liane de Pougy, Cléo de Mérode, des personnages merveilleux. Mais bon, on a encore le temps d’y réfléchir.
Toujours pas de regret de ne pas signer cette série Arleston ?
Non. J’assume ce choix, d’autant que Pelinq est mon vrai nom. Chimère(s) est une histoire dure, assez violente. Je ne voulais pas que de jeunes lecteurs, mes gamines par exemple, qui se marrent à lire Trolls, tombent dessus guidés par mon pseudo.
Cette incursion dans la BD historique est-elle une parenthèse ou une nouvelle voie pour vous ?
Dans ce domaine aussi, je découvre toujours des choses qui m’intéressent et me séduisent. Des idées flottent dans ma tête et aboutiront ou pas, après un délai plus ou moins long. Actuellement, je m’amuse beaucoup avec un nouveau personnage, Oscar, un jeune toubib d’aujourd’hui projeté au cœur de la Grèce antique. Odyxes (2) sort du cadre habituel de la fantasy et glisse dans un cadre plutôt fantastique-historique. Les dieux de l’Olympe ramènent dans le passé des gens d’aujourd’hui. Oscar va utiliser ses connaissances d’homme du XXIe siècle pour se débrouiller dans l’Antiquité. Avec un petit côté bricolo à la MacGyver.
Comme faire découvrir une certaine boisson anisée aux Grecs ?
Je vois que vous allez à l’essentiel…

Propos recueillis par Jean-Pierre FUÉRI
Supplément gratuit de Casemate 76 – décembre 2014.

1. Coscénariste Melanÿn, dessin Vincent, Glénat.
2. Dessin Steven Lejeune, Soleil.

trollsTrolls de Troy #19,
Pas de Nöl pour le père Grommël,
Jean-Louis Mourier,
Christophe Arleston,
Soleil,
13,95 €,
3 décembre.

 


Arleston : les droits d’auteur en danger à Bruxelles

Le brûlot des cotisations retraite, trois cents auteurs mobilisés à Saint-Malo, le ralliement spectaculaire de François Bourgeon, les lobbyistes qui menacent les droits d’auteur et donc nombre de dessinateurs et scénaristes… Christophe Arleston fait le point à deux mois d’Angoulême.

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Dans Casemate 72, vous évoquiez une possible action des auteurs à Angoulême.
arlestonChristophe Arleston : L’affaire des cotisations retraite augmentées qui devraient coûter 8 % de leurs revenus aux auteurs dès 2016 n’est toujours pas réglée. Notre réunion, lors du festival de Saint-Malo les 10-12 octobre, a connu un énorme succès. Nous avions prévu un petit débrayage d’une heure pour une réunion d’information le samedi à 17 h 30. Le festival nous avait octroyé une salle de deux cents places et nous nous attendions à ce qu’une centaine d’auteurs, au mieux, posent leurs crayons ou pinceaux. Tout le monde a débrayé ! La salle était pleine à craquer et cent personnes attendaient dehors. Une vraie réunion d’information, avec des intervenants et des échanges de questions avec la salle très posés, très raisonnables, très carrés. Voir trois cents auteurs réunis et, à la fin, François Bourgeon venir prendre sa carte du SNAC (1) BD a fait chaud au cœur du comité de pilotage, dont je ne fais pas partie, mais que je soutiens de mon mieux.
Les éditeurs ?
Ils ont fermé leurs stands et soutenu nos revendications.
L’un d’eux, dans une circulaire, a pourtant rappelé le danger économique à interrompre les séances de dédicace.
Un cas isolé. Les éditeurs n’ont aucun intérêt à ce que meurent leurs auteurs. Nous avons une communauté d’intérêts. Il y a bien sûr cette histoire de retraite qu’il va falloir régler rapidement, trouver des solutions de financement. Mais derrière, nous sommes en train de découvrir qu’il se passe à Bruxelles un travail de lobbying pour tenter de mettre un terme aux droits d’auteur.

Les auteurs de BD sont motivés et les écrivains commencent aussi à se réveiller

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Comment ?
Des propositions de loi visent à le limiter à un temps assez court, quinze ans, je crois, après la création d’une œuvre. Lanfeust serait donc déjà dans le domaine public. Aberrant ! Certains veulent faire sauter le système du droit d’auteur tel qu’il existe en France et en Belgique, avec son droit moral, pour le rapprocher d’un copyright à l’américaine.
Position des éditeurs ?
Plus rodés à ce genre de problèmes, ils connaissent mieux le lobbying, ont davantage de relations que nous. On sait qu’ils vont œuvrer dans un sens qui nous arrange jusqu’à un certain point. Nos intérêts sont, pour partie, communs.
C’est l’exception culturelle française qu’on remet en cause ?
Il faut s’entendre sur les mots. L’exception culturelle française, qui existe depuis des accords bilatéraux avec les États-Unis, ne concerne que le cinéma. Nous, les auteurs, faisons partie de tout un secteur menacé de passer à la trappe. Beaucoup sont déjà dans une situation catastrophique. Et pas que des jeunes…
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Côté pouvoirs publics, le débat sur les cotisations sociales avance-t-il ?
Aurélie Filippetti, ministre de la Culture, a mis très longtemps à prêter oreille à ce que nous lui répétions. Elle commençait lorsqu’elle a quitté le gouvernement. Un départ que nous ne regrettons pas outre mesure. Fleur Pellerin, qui lui a succédé, semble plus sensible à nos problèmes. Mais encore faut-il reconstruire des passerelles, entamer des dialogues.
Ne vous sentez-vous pas très isolés ?
Non, le dossier avance grâce à la motivation des auteurs ; mais également parce que les écrivains commencent eux aussi à se réveiller. Il s’agit maintenant d’une action à long terme qui dépasse le problème des cotisations retraite majorées. Il faut que nous obtenions des représentants dans toute une série d’institutions rébarbatives et dont nous nous fichions jusqu’à présent. Ainsi la Sofia (2), où siègent des gens élus par les auteurs, mais que nous ne connaissons pas. Gens qui fonctionnent en autarcie et prennent les décisions pour nous. Gens qui aux yeux du gouvernement sont nos représentants. À nous de mettre des gens à nous à leur place.
Des réunions d’information du même genre que celle de Saint-Malo pourraient-elles se tenir à Angoulême ?
Rien n’est décidé. Attendons de voir ce qui va sortir des réunions qui ont lieu. Mais si rien de concret n’aboutit, il faudra bien, à un moment ou un autre, envisager de faire de nouveau parler de nous. Et cela ne nous amuse pas. Nous sommes les derniers à avoir envie de saborder Angoulême. Mais on ne peut en exclure totalement l’idée.

JPF

1. Syndicat national des auteurs et des compositeurs.
2. Société française des intérêts des auteurs de l’écrit. Elle perçoit et répartit les droits des livres, l’équivalent de la SACEM pour les droits musicaux.
Les deux premières illustrations de l’interview sont © Glénat. Les suivantes sont © Soleil.