Mariage surprise de l’année. Fluide Glacial, le mensuel créé par Gotlib, passe sous la houlette de Bamboo, l’éditeur des Profs. Son patron, Olivier Sulpice, et Yan Lindingre, rédac chef de Fluide, s’en expliquent longuement dans Casemate 98. Ici, ils détaillent les raisons pour lesquelles ils bouderont le festival d’Angoulême où ils se sentent, restons diplomates, en désamour…

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Verra-t-on Bamboo et Fluide Glacial à Angoulême ?
lindingreYan Lindingre : Pour Fluide, c’est non. Nous avons été plutôt mal accueillis pour nos quarante ans. Ils n’ont rien voulu faire à cette occasion et, en gros, nous ont fait comprendre qu’on était un journal pourri avec son avenir derrière lui. Or, Angoulême nous coûte une blinde. Location d’une maison, animation rue Hergé où on faisait la fête, etc. Et jamais un bouquin sélectionné. Tout cela pourquoi alors ? Parlons en épicier, Angoulême ne nous fait pas vendre un album de plus. La même année, nous avons été très bien reçus par Aix, Saint-Malo et beaucoup d’autres festivals. Nous avons donc décidé de favoriser les festivals qui nous accueillent très bien.
Un au revoir, pas un adieu ?
Bien sûr, mais en attendant laissons de l’eau couler sous les ponts de la Charente. Et peut-être arriver d’autres têtes.
Et Bamboo ?
sulpiceOlivier Sulpice : Nous n’y allons pas non plus. Mon ami Jacques Glénat me répète qu’il faut que Bamboo y soit présent. Je lui réponds toujours : « Le jour où nous aurons une bonne raison de nous y rendre. »
Lindingre : Nos auteurs, c’est humain, privilégient les moments où ils rencontrent les lecteurs. Mais à ce festival on nous prend vraiment pour des cons. Aucun d’entre eux n’a été sélectionné depuis des années. Si, pardon, il y a deux ou trois ans Giménez pour le prix du Patrimoine qu’il avait obtenu deux ans avant et donc sans aucune chance de l’obtenir de nouveau.
Les Profs en 2001, Tigres et nounours en 2007, ont reçu le Prix Jeunesse !
Sulpice : Vous faites bien d’en parler. Bamboo est primé quand les enfants ont le droit à la parole. Mais même cela est terminé. Désormais, un jury d’adultes procède d’abord à une présélection. J’ai compris qu’à Angoulême on ne nous aime pas et on ne veut pas de nous.
Lindingre : Nous sommes sur la même longueur d’onde.
Sulpice : Je tiens à le préciser, nous avons laissé Fluide prendre sa propre décision.
Lindingre : Exact. Je me rendrai quand même à Angoulême pour remettre à une dessinatrice le deuxième prix Couilles au cul que Fluide a créé l’an dernier.

Pour nos quarante ans, on nous a bien fait sentir qu’on avait notre avenir derrière nous — Yan Lindingre

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Un prix pas vraiment prisé par les féministes…
Ça dépend lesquelles. Certaines me sont tombées dessus, mais Florence Cestac m’a dit trouver ce prix superpoilant. J’avais une féministe avec moi ! Une qui boit des coups avec les mecs ! Comme celles de Fluide, qui se marrent bien. Mais bon, ces attaques sont habituelles. On fait quelque chose qui nous semble humaniste et on s’en prend plein la gueule.
Le trophée sera-t-il le même qu’en 2016 ?
J’en fais réaliser un plus joli que le premier, un peu dégueu, je le reconnais. Le nouveau aura un côté plus cœur que couilles. Encore que je ne renie pas le premier. On a eu énormément de presse pour ce prix qui, comme je l’ai dit, veut « saluer l’audace de dessinateurs un peu partout dans le monde qui ont le courage de continuer à rire contre les obscurantismes ». Un bijoutier d’Angoulême, emballé, en a fabriqué une copie en argent qu’il a remise à la lauréate, Nadia Khiari, auteure tunisienne de Willis from Tunis.
Participerez-vous à d’autres festivals ?
Sulpice : Bien sûr, Saint-Malo en octobre, par exemple. Et, avant, à Bruxelles en août. Les stands y sont tenus par les libraires, donc pas de surenchères pour le stand le plus beau. On se retrouve au milieu d’une cantine avec les auteurs belges. Fluide sera le bienvenu à Bruxelles, on a un vrai travail à y faire.
Lindingre : Exact. Le lectorat de Fluide est bon en Belgique, mais niveau albums, pour nous, actuellement, c’est terre impénétrable.
Fluide Glacial, c’est combien de salariés ?
Le noyau dur comporte sept personnes, quatre ou cinq réguliers pour la partie rédaction. Plus une vingtaine d’auteurs et scénaristes très réguliers. Le second cercle, c’est une quarantaine d’auteurs irréguliers. Là-dedans, une quinzaine tirent leur principal casse-croûte de Fluide Glacial.

J’ai compris qu’à Angoulême on ne nous aime pas et qu’on ne veut pas de nous – Olivier Sulpice

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Nouveau propriétaire, clause de cession pour les journalistes… L’addition ne risque-t-elle pas d’être lourde pour Bamboo ?
Sulpice : Je ne connaissais même pas l’existence de cette clause permettant aux journalistes, en cas de changement de propriétaire, de partir avec leurs indemnités !
Lindingre : Non, les grosses pointures sont déjà parties. Et la commission de la carte de presse est devenue plus rigoriste. Ce qui est possible pour quelqu’un travaillant pour Le Canard enchaîné ne l’est plus pour un auteur de Fluide qui ne traite pas l’actualité. Le dernier à l’obtenir fut Bouzard.
Sulpice : Le départ le plus cher pour Bamboo serait peut-être Yan. Si cela arrivait, je le prendrais comme un échec personnel. Cela voudrait dire que je n’ai pas su le comprendre, que nous n’avons pas réussi à aller ensemble dans la direction qui nous semblait la meilleure. Et je l’assumerais complètement.
Lindingre : Nous sommes de grands garçons. Ce qui m’intéresse n’est pas de sauter sur une clause de cession ou de vouloir gagner un max de blé. Non, c’est de vivre une belle histoire. Aujourd’hui, après avoir remonté une politique éditoriale pendant quatre ans, je vis la frustration de ne pas réussir à vendre plus d’albums que j’estime bons (voir Casemate 98). Et de n’avoir pas pu rendre mes auteurs, sinon riches, en tout cas un peu moins pauvres. Je veux aller au bout de ce que j’ai commencé.
Avec des moyens supplémentaires venant de Bamboo ?
Aucun. C’est dans le deal. Je pense que la solution de nos problèmes réside dans une diffusion qui nous consacre davantage de temps. C’est ce que nous offre Bamboo en créant son propre réseau de diffusion (Casemate 98). Nous ne serons plus noyés dans la masse d’un grand groupe comme Gallimard. Ensuite, on refera des coups marrants, des coups promos, pas des coups éditoriaux. On m’a souvent associé à cette pratique alors que, cherchez, vous n’en trouverez quasiment pas signés Lindingre. Mais je resterai le trublion qui titille, pose des questions. Je veux redynamiser ce beau magazine créé par Gotlib il y a plus de quarante ans.

Propos recueillis par Jean-Pierre FUÉRI & Frédéric VIDAL
Supplément gratuit de Casemate 98 – décembre 2016.

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